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6 décembre 2005 2 06 /12 /décembre /2005 19:17

MASSOUD, L'HOMME DERRIERE LA LEGENDE

Peut-être est-ce parce que la légende racontait qu'il était invisible (et invincible), que sur le terrain des résistances aux soldats soviétiques il était partout à la fois, sur tous les fronts, là où chacun avait besoin de lui... peut-être est-ce parce qu'il volait au dessus des rochers, pensaient certains, qu'il avait été choisi par Dieu... peut-être à cause de ce qu'imaginaient les faiseurs de contes à l'heure du thé où les Afghans deviennent des poètes, Ahmad Shah Massoud est encore si présent dans tous les esprits. Sa légende est néée par delà lui. Sa mort brutale, par traitrise, l'inscrit dores et déjà dans les histoires d'exception. Aujourd'hui, sa présence humaine manque cruellement à tous ceux qui l'ont vraiment connu et aimé. Tant de tristesse installée pour longtemps dans les coeurs! Vivre les événènements depuis ce 9 septembre 2001 et ceux qui se sont enchaînés depuis, après le tragique 11 septembre où périrent tant d'innocents, étrangers à l'histoire d'Afghanistan, vivre cette actualité soudainement projetée au devant de la scène du monde sans Massoud, alors qu'elle était restée si lointaine, comme cachée, ignorée de la plupart des hommes et femmes de cette planète, le vivre sans lui c'est avoir du mal à vivre tout simplement. Où est le sens de cette injustice? Je m'interroge et ne suis pas le seul. On savait bien que la mort était toujours imminente. Depuis tant d'années de guerre, on avait oublié qu'il pouvait lui aussi être victime. Massoud a traversé tant d'épreuves, comme le peuple afghan qui souffre depuis si longtemps. Alors que certains pensaient que j'avais idéalisé cet homme au point d'en faire un héros, ce que n'ont pas compris ses détracteurs c'est la valeur humaine profonde qui était la sienne. Bien sûr Massoud a commis des fautes, il a fait des erreurs, surtout à Kaboul où la complexité de la situation l'a submergé, où beaucoup de ceux qui auraient du l'aider n'ont fait que le trahir, où, autour de lui, dans son propre entourage, quantité d'hommes n'ont pensé qu'à leurs intérêts. Bien sûr l'orgueil des Panjshiris a joué un rôle néfaste dans l'écriture du scénario. La guerre a Kaboul a détruit tout espoir de paix. Les ingérences ont entretenu le feu. Massoud n'a pas voulu prendre le pouvoir. Massoud n'était pas soutenu alors qu'il méritait d'éclairer son pays de l'amour qu'il lui vouait. De ceci je suis sûr: Massoud avait appris de son expérience. Lorsqu'il est venu en France pour la première fois, c'est un homme sage que ceux qui ont bien voulu le recevoir ont trouvé devant eux. Il ne demandait pas d'armes, mais de l'aide humanitaire pour le peuple afghan et un travail politique pour faire cesser l'ingérence pakistanaise. Il parlait de paix alors qu'on l'avait trop souvent présenté comme un homme de guerre. Bien sûr qu'il était un stratège étonnant, bien sûr qu'il avait su infliger à la puissante armée soviétique des coups redoutables. Mais Massoud n'aimait pas la guerre et rêvait de paix. Il avait voulu être architecte, construire, s'instruire, voyager, lire. Il aimait la poésie et savait écouter ceux qui venaient vers lui. Il était amoureux de la vie, de sa femme, de ses enfants et de son pays libre, indépendant. Aujourd'hui, comme tous ceux qui l'ont connu et savent ce qu'il était véritablement, je suis d'une tristesse inguérissable. Je regarde, médusé, des personnes parler de Massoud alors qu'elles l'ont à peine connu, se raconter à travers sa légende qu'ils commencent à transformer. Je regarde l'humanité tourbillonner dans tous les sens sans avoir la sagesse de prendre son temps, ce que savent faire les Afghans. J'écoute quantité d'analystes surgis dont ne sait où, que je n'ai jamais rencontré sur les sentiers qui traversaient les montagnes d'Afghanistan. Ah, le monde ne changera jamais: ce sont toujours les courtisans qui se mettent au premier rang, ceux qui en savent le moins et ont la plus haute opinion d'eux-mêmes qui jouent des coudes pour se mettre en valeur en se servant des causes des autres. Je regarde effaré les machines médiatiques faire des amalgames malheureux transformant parfois la réalité en atroces mensonges... c'est ainsi. Massoud, lui, avait de la pudeur et de la discrétion. Ses paroles étaient en harmonie avec ses actes. D'une réflexion sur les erreurs du passé il avait fait une force nouvelle qui l'habitait et lui donnait sa densité. De lui j'ai aussi appris qu'il ne fallait jamais renoncer, que jamais la bataille n'était perdue tant qu'il y avait courage, conviction et bel idéal. J'ai confiance dans la force des Afghans. Massoud a semé dans les coeurs de certains des graines utiles pour faire les arbres et les fleurs des jardins de demain.

Christophe de Ponfilly*

http://www.interscoop.com

 

 

*Christophe de Ponfilly est le Réalisateur de 11 films sur l'Afghanistan, dont " Massoud l'Afghan " et des livres: Le Clandestin (Ed Robert Laffont) - Poussières de guerre (Ed Robert Laffont) - Massoud l'Afghan (Ed Le Félin/Arte édition) - Vies clandestines, nos années afghanes (Ed Florent Massot).

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